[Nouveau] Gresea Échos n°118 Métaux critiques : quand l’Europe mine sa transition Édito : Relance minière : pour quelle transition ? Romain Gelin Le Conseil européen a entériné le règlement européen sur les matières premières critiques (CRMA) en mars 2024. Ce texte vise à sécuriser les approvisionnements en minerais de l’Union européenne de trois manières : en relançant une activité minière en Europe, en développant une économie circulaire afin de mieux réutiliser ou recycler les matériaux et en signant des accords avec des pays producteurs. Ce texte, l’un des plus rapidement votés de l’histoire récente de l’Union européenne, a été largement justifié par le constat de dépendance qui a pu être fait lors de la pandémie et plus récemment du conflit en Ukraine. Puisque nous avons manqué de masques et de respirateurs, puisque nous dépendons trop fortement de l’approvisionnement gazier russe, il est absolument nécessaire de renforcer notre capacité à produire ce dont nous avons besoin au sein de l’Union. L’argument semble en effet imparable. Au-delà de la nécessaire relocalisation de certaines activités essentielles, et de limiter notre dépendance économique à des partenaires extérieurs qui défendront toujours prioritairement leurs intérêts – des États-Unis de Trump à la Russie de Poutine – certains aspects de cette législation posent néanmoins question. Si l’argument de l’indépendance et de la souveraineté peut s’entendre, il est à noter que le règlement sur les matières premières critiques ne rendra pas l’Europe autosuffisante, loin de là. L’objectif fixé est d’extraire en Europe 10% des métaux utilisés par les industries. Autrement dit, 90% de l’approvisionnement pour la plupart des matières premières se fera toujours auprès de pays étrangers. L’indépendance affichée demeurera donc toute relative. Le CRMA vise à promouvoir le renouveau minier en Europe en incitant les États membres à relancer une prospection des ressources présentes dans le sous-sol, mais également en imposant des procédures accélérées pour les décisions concernant les permis miniers. L’éventualité d’aller se procurer des métaux au fond des océans, à quelques kilomètres de profondeur fait aussi partie des options envisagées par l’Union européenne. Il va sans dire que l’industrie minière est l’une des plus polluantes et des plus destructrices de la biodiversité qui soient. Problème : cette relance minière est largement promue au nom de la transition énergétique. Détruire plus d’espaces naturels, utiliser plus de produits chimiques ou d’explosifs pour « atténuer » le changement climatique ! Une curieuse manière d’envisager la transition écologique. En se penchant sur les usages pressentis pour les métaux qui seront extraits lors des prochaines décennies, on s’aperçoit que la mobilité électrique en engloutira la majorité. Mais par « mobilité électrique », les États européens n’entendent pas le renforcement du rail ou des transports publics, mais plutôt garantir l’approvisionnement des constructeurs automobiles pour la production de véhicules électriques. Ainsi, les projections de l’Agence internationale de l’énergie nous apprennent que plus de 70% de ces métaux serviront à la fabrication de SUV ou de véhicules pesant plus de deux tonnes [1]. Une bien étrange conception de la transition là encore. Il semblerait que cette nouvelle politique vise d’abord à satisfaire les desiderata des industriels européens, dans l’automobile et l’industrie numérique notamment, mais également – et ceci ne fait l’objet d’aucun débat public – dans le secteur de l’armement et de la défense, plutôt qu’à engager l’Europe sur la voie d’une économie écologiquement et socialement soutenable. Par ailleurs, il faudra aussi noter la faiblesse des propositions en termes d’économie circulaire du CRMA. Il semble clair que l’approvisionnement primaire – en Europe ou auprès de partenaires extérieurs – est la priorité de la politique minérale européenne. Il ne s’agit pas de réutiliser le stock de métal dont nous disposons actuellement, mais bien de décupler l’extraction de métaux pour peut-être en recycler une partie dans le futur. De même, la nécessaire réduction des flux de matières – énergie, métaux, matériaux de construction, intrants chimiques pour l’agriculture, etc. – n’est pas un sujet de discussion au niveau européen. La résolution de la crise climatique à la mode européenne passera par une introuvable croissance verte, reposant largement sur la technologie. Enfin, et ce point est peut-être le plus inquiétant, la consultation populaire est une nouvelle fois mise de côté. À aucun moment, les citoyens et citoyennes ne sont consultés sur le type de société vers laquelle ils et elles veulent aller. Rouvrir des mines pour fabriquer de grosses voitures (électriques) et du matériel militaire n’est pas nécessairement l’aspiration première de la population. Il en va de même en Wallonie où le gouvernement a récemment révisé son code minier, dans une relative discrétion. Le principe d’une transition écologique semble faire largement consensus, mais pas son contenu. Avant d’être énergétique, juste ou écologique, la transition devra d’abord être démocratique. Sommaire Éditorial : En quête d’une impossible croissance verte Romain Gelin Ruée sur les métaux : pour quelle transition Romain Gelin Relance minière en Europe, un passage obligé ? Géraldine Duquenne, Etopia L’économie circulaire, parent pauvre de la loi sur les métaux critiques Romain Gelin Creuser pour mieux armer Lora Verheecke, Observatoire des multinationales 2024, année décisive pour le deep-sea mining Raf Custers Le code minier révisé en silence Interview du collectif citoyen Les DoMineurs 📆 À venir : 🗣 Le 28 mai à 19h00 au forum St Michel. Conférence/ débat – La démarche low-tech : de l’action locale à la transformation globale en présence de Romain Gelin. Commandez ce numéro Prix unitaire : 6 € hors frais de port Pour les commandes multiples, merci de nous contacter à l’adresse info gresea.be afin que nous déterminions le montant des frais de port. 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