Novembre 2005, sous la direction scientifique de Audrey Aknin, Géraldine Froger, Vincent Géronimi, Philippe Méral, Patrick Schembri.
Coordination éditoriale : Géraldine Froger
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- Introduction
- Table des matières
- Cahier n°30
L’émergence du thème du développement durable est lié à l’inquiétude des pays du Nord face aux dommages environnementaux provoqués par leur croissance à partir des années 1970. Il est donc apparu d’emblée comme une notion du Nord, qui a émergé dans les arènes internationales à la faveur d’une configuration particulière des rapports de force entre acteurs de la scène internationale (Aknin et al., 2002).
Au départ, cette notion semblait éloignée des questions traditionnelles du développement. Or, comme le souligne Hugon (2004, p. 25) : « les questions de la durabilité du développement et de la reproduction des conditions sociales et environnementales ont été dès le départ inhérentes à l’économie du développement. Parler de durabilité ou de la soutenabilité du développement est un pléonasme. ».
Pourtant, la résurgence de la dimension environnementale dans les arènes internationales dans les années 1990, se traduit difficilement dans des politiques de développement au Sud. Si cette dimension est progressivement prise en compte par les institutions internationales en charge du développement du Sud, elle est remarquablement peu appropriée par les institutions nationales et acteurs locaux. Ces derniers restent méfiants face à l’enthousiasme de certains pays du Nord pour le développement durable. Quelle légitimité ces pays ont-ils pour imposer aux pays en développement des dépenses de protection de l’environnement et de gestion des ressources pour le bien commun de l’humanité ? Agarwal et Narain (1991) parlent même de colonialisme environnemental. Le thème de l’appropriation et de ces modalités devient alors central.
Dans ces conditions on ne peut que s’interroger sur ce qu’est (ou ce que n’est pas) une politique de développement durable dans les pays du Sud. Poser cette question, c’est rompre avec une vision irénique du développement durable. Celui-ci ne saurait être ramené à une vision apaisée, consensuelle du monde, faisant l’impasse sur les conflits d’intérêt. Il s’agit alors de rompre avec « une vision […] où les relations économiques internationales ne sont génératrices que de gains mutuels propres à réduire les tensions politiques internationales. » (Coussy, 1998, pp. 254-255).
Face à la « rhétorique homogénéisante »[1] des discours et des négociations internationales présentant le développement durable comme un principe de « bien universel », ce cahier du Gemdev interroge les politiques de développement durable dans les pays en développement. Une politique impliquant une stricte protection des ressources naturelles et de l’environnement est-elle soutenable au Sud ? Doit-on poser le débat dans les termes suivants : développement au Sud, développement durable au Nord ? Pourquoi le développement durable pour le Sud est-il en effet si radicalement différent de celui prôné au Nord ?
Le consensus international autour des objectifs de développement du millénaire conduit, dans le temps de la montée en puissance du développement durable, à la mise en avant de l’objectif n°1 : la réduction de moitié de la pauvreté d’ici 2015. Or, la relation entre développement durable et réduction de la pauvreté n’est jamais posée comme un principe guidant les politiques économiques. Même les programmes de réduction de la pauvreté par la mise en œuvre d’une gestion des ressources naturelles ne se revendiquent pas d’un développement durable. Il est remarquable, à cet égard, que les cadres stratégiques de réduction de la pauvreté définis dans le cadre de l’initiative « pays pauvres très endettés » ne fassent pas référence au développement durable.
Cette absence de cohérence entre les discours des institutions internationales sur le développement durable et les pratiques en termes de politiques économiques au Sud met en évidence les conflits qui se nouent entre les acteurs et les institutions, à différentes échelles, autour de la notion de développement durable au Sud.
C’est donc autour de la question : « Quel développement durable dans les pays en développement ? », qu’ont été construites les séances 2003-2004 des séminaires du groupe développement durable (C3ED[2]/GEMDEV), animées par Audrey Aknin (C3ED), Géraldine Froger (C3ED), Vincent Géronimi (président du Gemdev, DET/Forum, Université de Paris X), Philippe Méral (IRD, C3ED, C3EDM) et Patrick Schembri (C3ED). Finalement, une fois soumise aux réalités des terrains du Sud, que reste-t-il de la notion de développement durable ? Quatre thématiques ont retenu notre attention pour confronter arguments théoriques et réalités empiriques :
1) Quelle politique de développement durable dans les stratégies de lutte contre la pauvreté ? Force est de constater la faiblesse des recoupements et la quasi-absence du développement durable dans les Cadres Stratégiques de Lutte contre la Pauvreté (CLSP), ce qui illustre le fait que ce dernier n’est pas une politique « intégrée », globale, au Sud. A l’intérieur des CSLP, les politiques de développement durable n’apparaissent qu’à travers des programmes sectoriels « classiques » (eau, forêt, énergie,…), et ne sont même pas mentionnées en tant que telles. Par contre, les termes d’appropriation et de participation sont centraux dans les CLSP, comme dans les plans environnementaux élaborés dans certains pays en développement. Cela renvoie autant à des réalités que des mythes.
2) Comment gérer les risques environnementaux dans les pays en développement ?
Les populations les plus pauvres dans les pays en développement sont aussi les plus vulnérables en ce qu’elles sont exposées à des risques environnementaux dont les effets sont souvent irréversibles. Face à cette situation, les populations développent des stratégies d’évitement et de gestion du risque qui se situent à une échelle collective et dans un horizon temporel très court. Ces réflexions invitent à développer de nouvelles approches tant en termes de concept que de formalisation et soulignent l’absence de toute politique en la matière.
3) Quel développement durable au travers des accords de bio-prospection ?
Les accords de bioprospection illustrent les conflits d’intérêt qui se nouent autour des ressources naturelles. Alors que des conventions internationales consacrent la mise en place de dispositifs institutionnels et politiques, ainsi que « la valorisation économique de la biodiversité à travers le développement de marchés comme orientation privilégiée des politiques de conservation »[3], les firmes, les communautés et acteurs locaux (y compris les Etats nationaux) poursuivent des intérêts divergents qui se déclinent sur des temporalités et des espaces très divers.
4) Peut-on identifier une politique forestière tropicale combinant lutte contre la pauvreté et gestion de la ressource forestière ?
Le thème de la déforestation cristallise de façon exemplaire les débats qui traversent les relations entre développement durable et développement au Sud. Effectivement, la forêt apparaît simultanément comme étant un capital naturel en grand danger de déplétion accélérée (à la base des approches conservationnistes) et comme une source indispensable de revenu pour les pays du Sud (entre autre les populations les plus pauvres).
Chacune des thématiques énoncées [4] est l’objet d’un chapitre de ce cahier du Gemdev. Chaque chapitre débute avec une présentation générale du contexte, de la problématique et des enjeux par les présidents ou encore les animateurs de séance ; viennent ensuite la sélection des contributions rassemblées [5].
[1] En reprenant les propos de Singer (2004).[2] Le C3ED (Centre d’économie et d’éthique pour l’environnement et le développement), UMR IRD-UVSQ n°063, est localisé à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines.
[3] Pour reprendre les propos de Valérie Boisvert dans l’introduction du chapitre 3 de ce cahier.
[4] La première résulte de la synthèse de deux séances du groupe développement durable (GDD) sur les « cadres stratégiques de lutte contre la pauvreté », la première animée par Géraldine Froger, la seconde par Vincent Géronimi. La deuxième résulte d’une séance sur « gestion des risques et gestion de l’environnement » animée par Audrey Aknin et Philippe Méral. La troisième, d’une séance sur « bioprospection et développement durable » animée par Géraldine Froger, et la quatrième d’une séance sur « déforestation et exploitation forestière » animée par Audrey Aknin et Vincent Géronimi.
[5] Les membres du groupe développement durable tiennent à remercier vivement Emilie Julien qui a assuré l’interface entre les référés et les auteurs ainsi que l’édition de ce cahier du Gemdev (en collaboration avec Géraldine Froger). Que soient également remerciés Jean-Jacques Gabas, Vincent Géronimi, Claire Mainguy et Patrick Schembri pour la relecture des articles et leurs commentaires. Les auteurs restent seuls responsables de la version finale de leur article ainsi que des erreurs subsistantes.
- Introduction. Les membres du comité de redaction. Développement durable au sud
Chapitre 1. Les cadres stratégiques de lutte contre la pauvreté :
- J.L. Dubois. Les cadres stratégiques de lutte contre la pauvreté peuvent-ils intégrer la question de la durabilité du développement ?
- J.P. Cling, M. Razafindrakoto, F. Roubaud. Les documents stratégiques de réductions de la pauvreté : un renouveau de l’aide au développement
- F. Andriamahefazafy. Place des bailleurs de fonds dans le système de l’aide au développement : le cas du Plan national d’actions environnementales de Madagascar
- M. Raffinot. Soutenabilité de la dette des pays pauvres très endettés
Chapitre 2. Gestion des risques et gestion de l’environnement :
- C. Aubry. Quelles stratégies de gestion des risques naturels dans les pays en développement ?
- S. Beauchamp, F. Kervarec. Les réseaux de microfinance ont-ils un rôle à jouer dans la gestion des risques naturels ?
- C. Gondard-Delcroix, S. Rousseau. Gestion des risques et stratégies d’acteurs. Le cas du lac Alaotro à Madagascar
Chapitre 3. Bioprospection et développement durable :
- V. Boisvert. Bioprospection et biopiraterie : le visage de Janus d’une activité méconnue
- V. Raharinirina. Les débats autour de la valorisation économique de la biodiversité et de la bioprospection en Afrique : le cas de Madagascar
- D. Dumoulin, J. Foyer. Bioprospection et savoirs indigènes au Mexique: la dynamique d’un conflit politico-technologique
Chapitre 4. Déforestation et exploitation forestière :
- V. Géronimi, A. Aknin. Déforestation et politiques de développement
- B. Singer. Analyse comparative des politiques forestières tropicales en Europe : Allemagne, Finlande et Royaume-Uni
- A. Karsenty. Les enjeux des réformes dans le secteur forestier en Afrique Centrale