La prochaine séance du séminaire BRICs (INALCO-CREE, FMSH, Université de Paris) aura lieu en ligne mercredi 9 juin 2021 à 18h (heure de Paris).
Elle recevra :
Robert Boyer
(Institut des Amériques, EHESS, Centre Cournot).
Sur le thème :
« Les modes de développement post covid-19: analyse et propositions »
ci-dessous le lien d’inscription au séminaire en ligne :
http://www.inalco.fr/webform/seminaire-brics-2020-2021
(le lien d’inscription ci-dessus est désactivé un peu avant la séance – soit la veille au soir, soit en fin de matinée le jour même. Vous recevrez par mail les codes de connexion à ce moment)
Vous trouverez en attaché un texte d’appui qui porte sur une partie de la séance de mercredi.
Présentation :
Le virus surprend tant l’Amérique du Nord que les diverses sociétés latino-américaines, contrairement à l’Asie du Sud-Est et l’Afrique, origines de zoonoses dans un passé récent. Face au manque de connaissances sur ce nouveau virus, les responsables, sanitaires et politiques, doivent improviser.
Dans un premier temps, il est essentiel de dresser la liste des facteurs qui déterminent l’ampleur de l’épidémie et des outils mobilisés pour la combattre. Interviennent ainsi le degré d’exposition à la Covid-19, la prise en compte ou non des leçons des précédentes épidémies en matière d’organisation de la santé publique, la précocité des décisions des pouvoirs publics. Ces facteurs interagissent avec les caractéristiques des sociétés en termes de densité des interactions sociales, d’acceptation de mesures de prévention par les populations, de production des biens de santé requis pour limiter la diffusion du virus comme des équipements permettant de traiter des cas graves, plus généralement de la résilience du système de santé en réponse à un surcroit de demande de soins. Outre la complexité de ces processus, les responsables ont à arbitrer entre trois objectifs de santé publique, de maintien de l’activité économique tout en garantissant les libertés des citoyens. Il n’est donc pas étonnant qu’une année après, coexistent des trajectoires nationales, voire régionales et locales, très différents.
En comparaison internationale, l’Amérique Latine fait ressortir une position originale de la plupart des pays. La faiblesse de l’investissement en santé publique implique le recours à une plus grande dureté des mesures de confinement, difficiles à respecter compte tenu du rôle déterminant du travail informel dans la survie des plus défavorisés. Il ressort que les pertes de production donc de revenu sont d’autant plus élevées que le confinement est strict. Au demeurant la fragilité de la base fiscale, aggravée par la réduction de commerce mondial, ne permet pas un soutien suffisamment vigoureux du revenu des plus touchés par l’épidémie. Ce n’est pas le cas de l’Amérique du Nord car le gouvernement des Etats-Unis peut lancer de vastes plans de soutien au revenu des citoyens en s’endettant en leur propre monnaie, le dollar. En l’occurrence l’absence de reconnaissance du triangle d’impossibilité (santé, économie, liberté) conduit à une perte de contrôle de l’épidémie, une accentuation des inégalités sociales et régionales et une absence de récupération de l’économie. Cette approche transaméricaine de la Covid-19 fait ressortir l’accentuation de notables différenciations Nord/Sud mais aussi au sein de l’Amérique Latine : ni les taux de mortalité cumulée, ni les chutes de l’activité économique ne convergent. Menace commune mais divergence des sociétés, selon un mouvement déjà observé tout au long du processus de mondialisation.
Une mise en perspective historique suggère plus une accélération de tendances longues qu’une rupture marquant un infléchissement des trajectoires nationales. Le type d’urbanisation, les conditions de logement, l’informalité du travail et le caractère limité de la couverture sociale et sanitaire sont autant de facteurs qui ont pénalisé la plupart des pays d’Amérique Latine dans leur lutte contre la pandémie. Par contraste dans l’Asie du Sud Est, la Covid-19 incite à une poursuite de la constitution d’une couverture sociale et elle favorise une synergie entre avancées médicales et économie numérique, dans un contexte de retour à une croissance soutenue. La pandémie met cruellement en évidence l’inégalité d’accès à la santé dans tous les pays, mais dans une moindre mesure pour l’Union Européenne. Le contraste est frappant avec l’Amérique latine mais aussi les Etats-Unis : les pertes humaines de la Covid-19 s’inscrivent dans la continuité de la divergence des espérances de vie entre les plus riches et les laissés pour compte par la compétition internationale. De la même façon s’approfondit la séparation entre Etats forts capables de réagir à l’inattendu et les plus faibles dont l’impuissance suscite la colère des oubliés du partage des dividendes de l’internationalisation.
Enfin la course aux vaccins rend manifeste une autre ligne de partage. D’un côté un petit nombre d’économies concentrent la quasi-totalité de la recherche scientifique, technique et médicale, ils se sont ainsi dotés des moyens d’assurer à terme la sécurité sanitaire sur leur territoire, de l’autre la majorité des pays qui doivent compter sur une solidarité internationale défaillante pour surmonter la pandémie. Or si les gouvernements n’entendent pas sacrifier la mobilité et les échanges internationaux, point de retour à une certaine prospérité économique sans une solution durable à la crise sanitaire.
Un aggiornamento des stratégies et des politiques de développement peut se déduire de cette analyse. La reconnaissance de la sécurité sanitaire comme prémisse de l’activité économique incite à la constitution d’un réseau international de détection des zoonoses sous l’égide d’une Organisation Mondiale de la Santé aux pouvoirs et responsabilités, étendus jusqu’au financement et la distribution des thérapies et vaccins. Le financement du développement devrait se concentrer sur l’éducation et la santé, pilier d’un mode de développement anthrpo-génétique, soit une inversion de la causalité entre croissance et dépenses publiques. Des crédits internationaux spécialement conçus, devraient permettre des politiques contra-cycliques, bloquées par l’impossibilité de s’endetter dans leur propre monnaie dans la plupart des pays qui luttent pour leur développement. Cette percée pourrait être étendue à la lutte contre le changement climatique, soit un mouvement d’institutionnalisation d’une série de Communs mondiaux, à partir desquels pourront être recherchés différents modes de développement nationaux.
L’intervenant :
Robert Boyer, économiste et ancien directeur de recherches au CNRS et à l’EHESS, est l’un des fondateurs et principaux auteurs de la théorie de la régulation. Il contribue régulièrement au séminaire BRICs. Robert Boyer a publié récemment « Les Capitalismes à l’épreuve de la pandémie » (La découverte, 2020).
Pour plus d’informations sur le séminaire BRICS, consulter :
- le carnet/blog : http://brics.hypotheses.org
- la page INALCO : http://www.inalco.fr/actualite/seminaire-brics-2020-2021-brics-crises-ruptures-recompositions
- les pages FMSH : http://www.fmsh.fr/fr/recherche/3043
http://www.fmsh.fr/fr/recherche/30882
NB : séance suivante (la dernière du programme 2020-2021) : mercredi 23 juin 2021, 18h : Romain Svarstman, Michel Aglietta et Etienne Espagne : « Vers une écologie politique des relations monétaires internationales »