La Newsletter du CERI – Décembre 2012
« Le 18e Congrès du PCC : un Congrès plus décisif que prévu »
Edito :
Par Jean-Luc Domenach, directeur de recherche au CERI
La Chine est encore un sujet à polémiques mais, pour une fois, ses adversaires et ses thuriféraires étaient au fond d’accord : pour eux, il ne se passerait rien durant la grande messe quinquennale qui s’est tenue à Pékin du 8 au 14 novembre 2012. En effet, le successeur de Hu Jintao était déjà connu, les effets de l’affaire Bo Xilai y seraient soigneusement tus et la démocratie n’y ferait pas de progrès.
Ils n’avaient pas totalement tort car, parfaitement organisé comme les précédents, ce Congrès a donné l’image de l’unité et de la discipline, et les slogans qu’il a adoptés – y compris contre la corruption… – constituent un recueil de vœux pieux assez complet. Il n’est guère approprié de se moquer car après tout c’est bien ce régime, avec tous ses mensonges, qui a conduit la Chine au deuxième rang économique du monde en trente ans. En outre, la nomination des deux dirigeants prévus aux premiers postes – Xi Jinping et Li Keqiang – montre bien qu’une fois de plus le souci d’unité a prévalu sur les disputes factionnelles, aussi violentes celles-ci soient-elles désormais. Au total, l’impression qui ressort est celle de la continuité, ce qui est la grande force d’une propagande quand tout va bien dans l’ensemble. Pour toutes ces raisons, les media occidentaux ont en général reporté leur attention ailleurs dés le lendemain de l’ouverture du Congrès.
C’était pourtant une erreur car la règle en régime communiste est qu’une assemblée n’est jamais terminée avant le départ de ses participants. En l’occurrence, les prévisions d’une succession à la fois modérée et équilibrée ont été nettement infirmées. En effet, la victoire de Xi Jinping est beaucoup plus large que prévu : non seulement il reçoit d’emblée la direction de l’armée (ce que Hu Jintao avait du attendre de longs mois), mais le nombre de ses partisans est également plus important que prévu (quatre contre deux), et surtout le nombre des « fils de princes » parmi eux et des anciens ou actuels maires de très grandes villes – quatre également – est un fait essentiel et inquiétant. En effet, il donne à penser que les efforts de Hu Jintao pour équilibrer les origines géographiques et sociales des dirigeants ont été abandonnés ou réduits.
Mais la question est plus vaste : elle est politique. Appuyé sur de nombreux experts, Hu Jintao s’était employé à rééquilibrer le modèle chinois. Sans rien céder des pouvoirs du Parti, il s’agissait d’en contrôler l’exercice et de promouvoir une « harmonie » à la fois géographique, sociale, voire même morale. Une nouvelle orientation économique soutenait cet objectif. Devant les difficultés rencontrées par des exportations chinoises moins compétitives qu’avant dans des marchés occidentaux déclinants, l’idée était de développer une économie de consommation qui deviendrait progressivement le deuxième moteur de la prospérité chinoise. Appuyée sur des politiques sociales et sur un redéploiement géographique des investissements, celle-ci équilibrerait la puissance des grands groupes exportateurs des provinces côtières et faciliterait le passage progressif à une croissance plus mesurée comme à une société plus apaisée.
Les changements d’hommes décidés à la fin du Congrès, sous la pression de l’ancien président Jiang Zemin et de quelques autres « immortels », conduisent à se demander si le choix n’a pas été repoussé. A l’exception de celle du futur premier ministre Li Keqiang et du futur patron de la propagande, toutes les biographies fleurent bon le business, le vrai, le grand, notamment celles de Yu Zhengsheng (fils d’un ancien mari de l’épouse de Mao mais aussi maire de Shanghai et lié aux milieux d’affaires taiwanais) et de Wang Qishan (un ancien banquier). Ce ne sont pas, a priori, des personnages obsédés par le sort des plus pauvres.
D’un côté, c’est vrai, ce sont le plus souvent des personnages compétents, et l’on voit bien que cette compétence les conduira, ce qui n’est pas absurde, à profiter aussi longtemps que possible des ressources de compétitivité qui se trouvent encore dans les réserves de main d’œuvre des provinces de l’intérieur. D’un autre côté, on voit mal cette équipe s’attaquer aux deux grands maux de la société chinoise – l’inégalité et la corruption – et cela, car elle est à la tête d’une caste qui en profite. Or, s’il est intellectuellement très risqué d’imaginer un vaste mouvement démocratique, la société chinoise est de plus en plus rétive comme le montrent les « affaires » qui se succèdent sans cesse.
On comprend bien que la nouvelle équipe compte, comme par le passé, en compenser la menace par le maintien d’une croissance rapide – en fait, plus de 7%. Y parviendra-t-elle ? C’est la question, et l’on comprend que la qualité des statistiques chinoises soit interrogée par les temps qui courent…
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