mar 21, 2013

La newsletter du CERI – Mars 2013

Édito

La Palestine dans les limbes ?

Par Laurent Bonnefoy, chargé de recherche (CNRS) au CERI

L’enlisement du « processus de paix » depuis maintenant plus d’une décennie ainsi que les « Printemps arabes » ont indéniablement relégué le conflit israélo-palestinien au second plan des préoccupations concrètes de la communauté internationale. La visite de Barack Obama en Israël et dans les Territoires palestiniens fin mars 2013, sa première depuis son élection, n’y change rien.

Certains, le gouvernement israélien en tête, ne verront dans cette évolution que justice, pensant qu’enfin l’importance accordée à ce vieux conflit reflète à la fois ses « enjeux réels » sur le plan stratégique (comparé au dossier nucléaire iranien en particulier) et le degré limité de violence effective par rapport à certaines guerres cachées, dans la région des Grands Lacs par exemple. D’autres, l’Autorité palestinienne en particulier, continuent de penser que la solution au conflit passe par l’engagement des grandes puissances.

Pourtant, le conflit du Proche-Orient en Europe, en Amérique comme dans le monde arabe reste l’objet d’un nombre incalculable d’articles de presse, de rapports d’ONG et de déclarations plus ou moins engagées de diplomates. Cette médiatisation, parfois uniquement mécanique, donne lieu à des pics réguliers – tel celui de novembre 2012 au cours de la brève offensive militaire israélienne à Gaza. Elle a dans le même temps une certaine tendance à ne donner à voir que les « péripéties » d’une situation dont les éléments structurels apparaissent comme souvent négligés. Or comprendre la structure contemporaine du conflit exige d’approcher avec lucidité ce qui constitue la « réalité » de la Palestine près de vingt ans après la signature des accords d’Oslo.

La Palestine souffre de n’être plus sur le terrain qu’une fiction institutionnelle savamment entretenue par les bailleurs de fond internationaux, par Israël, par l’Autorité palestinienne (AP) jalouse de ses micro-prérogatives mais aussi par les différents partis palestiniens, dont aucun et surtout pas le Fatah, parti de Mahmoud Abbas, ne veut être accusé d’être le premier à abandonner la partie. La division profonde entre le Fatah et le Hamas qui s’incarne dans le dédoublement depuis 2006 de la Palestine entre la Cisjordanie et Gaza, limite encore davantage les prérogatives de l’AP et place Gaza, soumise au blocus israélien, dans un isolement particulier que seule la révolution égyptienne de 2011 est parvenue à atténuer. Dès lors, Gaza semble comme détachée de la Palestine.

De cette fiction institutionnelle où chacun dit croire et œuvrer en faveur de la « solution à deux Etats », les Palestiniens sont les premières victimes. Le grignotage par la colonisation israélienne et ses à-côtés (mur de séparation, camps militaires, routes de contournement, barrages, réseaux d’eau séparés, etc.) de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est s’avère aujourd’hui être la principale donnée structurelle qui a transformé la Palestine. Malgré tout, la communauté internationale, Union européenne, ONU et monde arabe en tête, agit comme si sa condamnation quasi-unanime des projets de colonisation israéliens suffisait à annuler les effets de ces derniers sur le terrain et l’anéantissement de la promesse signée à Oslo.

Le rêve d’un dénouement « heureux » est réactivé épisodiquement. Un rapport de la Banque mondiale sur la maturité des institutions économiques palestiniennes, une entrée à l’UNESCO puis un vote favorable de l’assemblée de l’ONU à la reconnaissance de la Palestine en tant qu’Etat observateur entretiennent le mythe de deux Etats, donnent du baume au cœur à une population palestinienne qui en a bien besoin, offrent un sursis à l’AP (placée dans une situation évidemment inconfortable car soumise à des attentes et pressions contradictoires) mais participent in fine à la supercherie. Le recours épisodique à la violence armée par les organisations palestiniennes, via par exemple les rockets du Hamas qui en novembre 2012 ont pour la première fois atteint les banlieues de Tel-Aviv et Jérusalem, sert lui-même à entretenir le mythe, si ce n’est le folklore, d’une résistance active à laquelle pourtant la population ne croit plus pleinement, sans pour autant la condamner. Brisés par la répression qui a eu cours depuis des décennies (songeons que 40% de la population masculine adulte palestinienne a connu la prison en Israël), et contraints par la volonté de préserver les acquis matériels et l’illusion d’un boom économique en Cisjordanie mais aussi à Gaza, les Palestiniens apparaissent massivement désillusionnés.

Une telle situation peut durer longtemps et il est devenu évident que le gouvernement israélien joue la montre selon la logique du fait accompli. Les 600 000 colons se sont installés en Cisjordanie et à Jérusalem-Est pour rester et fragmentent à l’extrême le territoire. Dans ce cadre, la Palestine ne fait que subir. Le gouvernement du Hamas à Gaza, tout isolé qu’il est et exclu du « processus de paix », évolue dans une dimension propre. Pour reprendre la main, l’AP pourrait être amenée à prendre une décision paradoxale : se saborder pour mieux exister. L’idée de « rendre les clefs » d’une structure fantoche pour placer Israël devant ses responsabilités et le laisser assumer pleinement le coût économique mais aussi symbolique de l’occupation fait son chemin. La menace a été évoquée par Mahmoud Abbas fin décembre 2012, telle un joker auquel lui-même ne pouvait croire. Pourtant, peut-être cette idée mérite-t-elle aujourd’hui d’être prise au sérieux… y compris par les Palestiniens.

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