Par Christian Lequesne, directeur du CERI
La récente crise entre l’Union européenne et Chypre a montré que la crise est loin d’être dernière nous. Les décisions brutales préconisées par l’Eurogroupe ont heurté le peuple de Chypre. D’un point de vue technique, la crise s’est soldée par la disparition d’une des deux banques du pays et par un rétablissement du contrôle des changes, ce qui est tout de même un important recul par rapport à l’idée du marché intérieur.
Bien entendu, la crise de la zone euro a permis de mettre en place de nombreuses mesures de contrôle : que ce soit pour garantir la solvabilité des Etats ou celle des banques. Reste à voir si ces procédures sont suffisamment légitimes, c’est-à-dire si les peuples ont les moyens de les contrôler. Les politiciens allemands, de ce point de vue, sont logiques lorsqu’ils réclament un contrôle démocratique exercé davantage par un Parlement européen dont on réélira les membres en juin 2014.
Il est dommage que les Européens ne soient pas parvenus à avancer davantage dans la création d’une Union budgétaire européenne. Il est vrai que l’on assiste sur ce plan à des différences de vue encore assez marquées. Le gouvernement CDU/FDP en Allemagne pense que la rigueur des finances publiques est le seul moyen de relancer croissance et compétitivité. En ayant réussi depuis trois ans à relancer son économie par ce biais tout en ayant la capacité de production industrielle la plus forte, l’Allemagne tend à imposer ce modèle qu’elle estime bon pour elle et donc pour les autres. Il en découle un jeu de puissance de facto de l’Allemagne qui, pourtant, n’aime pas l’idée de dominer en raison de son histoire.
En même temps, on attend toujours un modèle alternatif à celui des Allemands qui fasse ses preuves. Au-delà des injonctions rhétoriques sur la puissance, la France n’a pas encore inventé ce modèle néo-keynésien crédible qui puisse délivrer davantage de croissance et moins de chômage. La France ne pourra y parvenir que si sa politique économique engage des réformes structurelles de fond, notamment du marché du travail. Contrairement à ce qu’a dit récemment le patron américain de Titan, la France n’a pas de problème avec la qualité de son travail ; elle a même une des productivités individuelles les plus performantes du monde. La France a d’abord et avant tout une difficulté avec l’entrée et la sortie du marché du travail qui répondent à un cycle beaucoup trop court.
L’Eurogroupe, qui vient de changer de président, continue son travail d’assainissement. L’institution est importante, car elle est la seule qui puisse surmonter l’image inquiétante d’un clivage entre un nord qui serait vertueux et un sud qui serait dispendieux. Que de plus en plus de citoyens allemands, néerlandais ou suédois pensent que le sud de l’Europe en veut à leur épargne est bien entendu une atteinte évidente au principe de solidarité, qui est l’un des fondements de la construction européenne. Mais il ne faut pas se faire d’illusion : l’Eurogroupe ne pourra fonctionner que s’il se transforme progressivement en un Trésor européen. La grande leçon de la crise est en effet que la simple coordination intergouvernementale fonctionne par temps calme, mais se montre insuffisante pendant les crises. Sur ce plan, le gouvernement français – qui ne semble pas prêt pour l’instant à aller au-delà des solutions intergouvernementales – doit absolument évoluer et retrouver le chemin de la méthode communautaire.
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