La lettre de l’Iddri n°39 – édition spéciale – avril 2013 : Regard sur terre, réduire les inégalités
Le monde est-il de plus en plus inégalitaire ? Les riches sont-ils de plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres ? Quelles sont les composantes non monétaires de l’inégalité ? Pour saisir l’évolution contemporaine des inégalités et comprendre leurs conséquences sur le développement durable, Regards sur la Terre dissocie les écarts de niveau de vie entre pays des écarts au sein des pays. Chacune de ces deux dimensions connait actuellement un grand retournement, dont la conjonction marque une rupture historique à l’échelle de l’humanité. Le premier retournement est celui d’une tendance séculaire de creusement des écarts de richesses entre régions du monde, puisque la croissance spectaculaire des émergents se traduit par une diminution des inégalités de revenu moyen entre pays, accompagnée d’une importante réduction de la pauvreté absolue. Parallèlement, un deuxième retournement s’opère, se manifestant par une augmentation des inégalités au sein de nombreux pays. Ce renversement sans précédent des inégalités a des conséquences considérables sur l’état de notre planète et de nos sociétés, et sur notre capacité collective à produire un développement durable selon les engagements pris à Rio il y a plus de vingt ans. Regards sur la Terre propose un état des lieux des liens entre l’évolution des inégalités et la soutenabilité de nos systèmes de développement.
Un nombre croissant de chercheurs et d’institutions s’accorde aujourd’hui sur l’existence d’une relation positive entre la réduction des inégalités et la durabilité des systèmes économiques et sociaux — et en premier lieu leur résilience. Dans la même perspective, la réduction des inégalités peut avoir un impact sur d’autres dimensions du développement, comme la préservation de la biodiversité ou la santé.
Si des arguments justifient le traitement politique des inégalités à des fins de durabilité, la traduction de tels arguments en politique publique reste aujourd’hui insuffisante et lacunaire. Au-delà du Brésil souvent cité en exemple, la réduction effective des inégalités au sein des pays exige une part d’innovation sociale et politique, qui va souvent à l’encontre des forces politiques et économiques installées.
Les contributions à Regards sur la Terre illustrent l’importance de traiter les inégalités non pas comme une fin en soi, mais comme un moyen. Un moyen de rendre nos sociétés plus résilientes, nos rapports de force plus équilibrés, les intérêts bien compris mieux partagés et d’infléchir nos trajectoires de développement. Les inégalités sont l’un des problèmes les plus universellement partagés. Elles méritent à ce titre, d’être mises à l’agenda des négociations sur nos modèles de développement « post-2015 ».
>> Regards sur la Terre sur le site de l’éditeur Armand Colin
Le sommaire du dossier 2012
Chapitre 1 – Inégalités : l’importance de la perspective historique
Pedro RAMOS PINTO, université de Manchester, Royaume-Uni
Cette perspective historique met en évidence la stabilité des critères à l’aune desquels les individus ou les groupes sont reconnus inégaux, mais signale aussi les opportunités d’évolution de ces critères et de transformation des sociétés. Elle pointe la difficulté d’identifier des remèdes à l’inégalité qui exige notamment de comprendre comment les différentes manières de concevoir les inégalités au sein des sociétés sont intégrées dans les rapports sociaux et, ainsi, généralisées et persistantes.
Chapitre 2 – La nouvelle prospérité des rentiers : la dynamique des inégalités dans un monde en croissance faible
Thomas PIKETTY, École d’économie de Paris, France
Le capitalisme du xxie siècle sera-t-il aussi inégalitaire et instable que celui du xixe siècle en Europe ? Alors qu’on prédisait le triomphe du capital humain et du mérite, Thomas Piketty montre que les revenus d’héritage, détenus par une minorité, ne cessent d’augmenter en proportion de la richesse nationale, pour retrouver des niveaux comparables à ceux du siècle de Rastignac et de Vautrin. et pose la question du partage de la prospérité.
Chapitre 3 – Concevoir les inégalités dans le monde : l’émergence d’une idée politique au xxe siècle
Vincent BONNECASE, Centre national de la recherche scientifique, France
Souvent contestés, les indicateurs de conditions de vie sont au cœur de la problématique des inégalités. L’histoire de la comparaison des niveaux de vie démontre que les indicateurs concourent incontestablement à changer la manière de concevoir le monde. En mettant les hommes dans un même espace d’équivalence, la mesure donne de nouvelles armes discursives qui participent à la reconfiguration des rapports de forces.
Chapitre 4 – Inégalités et croissance : l’émergence d’une idéologie globale entre 1990 et 2010
François BOURGUIGNON, École d’économie de Paris, France
La relation inégalité-croissance-pauvreté alimente d’intenses débats académiques depuis les années 1950, qui façonnent les politiques des États et des organismes de développement. L’histoire des idées des sciences économiques démontre des changements de paradigme de la croissance et la mise en avant progressive de l’accumulation d’actifs productifs dans les groupes les plus défavorisés. Cela se concrétise dans des outils de mesures, des programmes sociaux et de nouvelles modalités de pilotage des politiques publiques.
Chapitre 5 – L’égalité économique, un facteur indispensable pour préserver la biodiversité
Gregory M. MIKKELSON, McGill University, Canada
Raphaël BILLÉ, Institut du développement durable et des relations internationales, France
Gilles KLEITZ, Agence française de développement, France
Des travaux empiriques font état d’une corrélation élevée entre inégalités économiques et érosion de la biodiversité. Un certain niveau d’égalité semble également nécessaire pour une bonne gestion communautaire des ressources naturelles renouvelables.
Chapitre 6 – Inégalités de revenus, inégalités en santé et progrès social
Sridhar VENKATAPURAM, université de Cambridge, Grande-Bretagne
Très populaires, les thèses développées dans le livre de Richard Wilkinson et de Kate Pickett, « L’égalité, c’est la santé », sont illégitimement interprétées. L’amélioration des conditions de vie dépend in fine de la qualité des programmes financés par les politiques de redistribution et le prélèvement des impôts.*
Chapitre 7 – Les inégalités dans la moitié urbaine du monde
David SATTERTHWAITE, International Institute for Environment and Development, Royaume-Uni
Diana MITLIN, International Institute for Environment and Development, Royaume-Uni
Les plus grandes inégalités apparaissent dans les zones urbaines des pays à revenus faibles et moyens, qui concentrent aujourd’hui 2,8 milliards d’habitants, en particulier dans les quartiers informels où les habitants font l’objet de discriminations inacceptables. L’analyse des nombreuses initiatives d’amélioration de l’accès aux services de base permet d’identifier les conditions de réduction des inégalités par les collectivités locales, la société civile et les institutions d’aide et de développement.
Chapitre 8 – Comment tuer la taxe carbone avec l’argument d’équité, ou l’échec de la taxe Sarkozy
Jean-Charles HOURCADE, Centre international de recherche sur l’environnement et le développement, France
Loin de servir des objectifs de réforme et de progrès social, la manipulation des arguments d’équité peut être mise au profit de l’inertie politique. C’est la leçon que l’on peut tirer de l’échec de la taxe carbone en France. Jean-Charles Hourcade propose plusieurs pistes si l’on souhaite éviter le piège tendu par toutes celles et ceux qui se réclament des « pauvres » ou des « minorités » pour mettre au rebut un instrument moderne de fiscalité.
Chapitre 9 – Les voies de la durabilité dans un monde en crise
Peter UTTING, Institut de recherche des Nations unies pour le développement social, Suisse
Les contextes de crise ouvrent inévitablement la voie pour « repenser le développement ». À la crise actuelle ébranlant chacun des piliers du développement durable, Peter Utting propose au moins trois types de réponses que différencient les relations entre marché et société et, in fine, l’impact possible sur le développement durable.
Chapitre 10 – La politique sociale du Brésil au xxie siècle
Barbosa THIAGO VARANDA, ministère du Développement social et de la Lutte contre la faim, Brésil
Oliveira MAYRA JURUÁ, Centre d’études stratégiques et de gestion, Brésil
Connu comme l’un des pays les plus inégalitaires de la planète, le Brésil réalise actuellement des progrès considérables de réduction des inégalités et d’amélioration des conditions de vie des travailleurs informels. Pour comprendre ces succès, les auteurs reviennent sur l’expérience brésilienne depuis les années 1930 jusqu’aux récents programmes Fome Zero et Bolsa Familia.
Chapitre 11 – Commerce en bas de la pyramide : repenser les stratégies
Erik SIMANIS, PhD, Cornell University, États-Unis
Les stratégies du BOP (« bas de la pyramide ») sont motivées à la fois par la recherche du profit et l’ambition de développement. L’idée que les multinationales puissent à la fois engranger des profits et réduire la pauvreté ne semble guère résister toutefois à l’épreuve des faits. Des modifications et une certaine modestie s’imposent.
Chapitre 12 – L’économie solidaire : l’émancipation en acte au défi du politique
Bruno FRÈRE, université de Liège, Belgique, et Institut d’études politiques de Paris, France
L’économie alternative et solidaire est partout une émancipation. Elle contourne les règles de l’économie de marché et propose une critique de l’idéologie managériale. Faute de se doter d’une identité et d’un agenda politique propres, elle court néanmoins le risque de rester confi née aux marges de l’échange comme de la société.
Chapitre 13 – Définir des objectifs de développement durable à l’horizon 2030
Xue LAN, université de Tsinghua, Chine
Jeffrey D. SACHS, université de Columbia, États-Unis
Guido SCHMIDT-TRAUB, Sustainable Development Solutions Network, France
Laurence TUBIANA, Institut du développement durable et des relations internationales, France
Et les membres du Conseil de direction du Sustainable Development Solutions Network
Décision a été prise en 2012 à la Conférence Rio+20 de négocier des objectifs du développement durable (ODD). Engageant tous les pays à compter de 2015, les ODD seront réduits en nombre, simples d’expression, universels dans leur portée et déclinables par pays. La question des inégalités globales sera centrale dans les négociations de ce nouvel agenda de développement.
Un nombre croissant de chercheurs et d’institutions s’accorde aujourd’hui sur l’existence d’une relation positive entre la réduction des inégalités et la durabilité des systèmes économiques et sociaux — et en premier lieu leur résilience. Dans la même perspective, la réduction des inégalités peut avoir un impact sur d’autres dimensions du développement, comme la préservation de la biodiversité ou la santé.
Si des arguments justifient le traitement politique des inégalités à des fins de durabilité, la traduction de tels arguments en politique publique reste aujourd’hui insuffisante et lacunaire. Au-delà du Brésil souvent cité en exemple, la réduction effective des inégalités au sein des pays exige une part d’innovation sociale et politique, qui va souvent à l’encontre des forces politiques et économiques installées.
Les contributions à Regards sur la Terre illustrent l’importance de traiter les inégalités non pas comme une fin en soi, mais comme un moyen. Un moyen de rendre nos sociétés plus résilientes, nos rapports de force plus équilibrés, les intérêts bien compris mieux partagés et d’infléchir nos trajectoires de développement. Les inégalités sont l’un des problèmes les plus universellement partagés. Elles méritent à ce titre, d’être mises à l’agenda des négociations sur nos modèles de développement « post-2015 ».
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