oct 18, 2013

Soutenance Marie-Eve Humery : L’ecriture du pulaar (peul) entre l’arabe et le francais (31 octobre, Paris)

Centre Anthropologie de l’Écriture (EHESS) Enquête, Terrains, Théories (CMH- ENS)
le jeudi 31 octobre 2013, 14H00
EHESS, 105 bd Raspail, Paris 6°, salle 7

 

Thèse en Sciences de la société soutenue publiquement par  Marie-Ève HUMERY :   L’écriture du pulaar (peul) entre l’arabe et le français  dans la vallée du fleuve Sénégal
sous la direction de Béatrice Fraenkel et de Jean Schmitz

Jury :
Cécile Canut, Professeur de Sciences du langage (Université Paris Descartes, Paris 5)
Béatrice Fraenkel, Anthropologue, Directrice d’études (EHESS)
Étienne Gérard, Sociologue, Directeur de recherche (IRD-CEPED)
Jean Schmitz, Anthropologue, Directeur de recherche (IRD-EHESS)
Mahamet Timera, Professeur de Sociologie (Université Paris Diderot, Paris 7)
Daniel A. Wagner, Professeur en Sciences de l’éducation (Université de Pennsylvanie)

Les années 1980-1990 ont été celles d’un âge d’or, celui du « mouvement pulaar » où la langue peule (pulaar ou fulfulde, selon les pays), quatrième langue la plus parlée au sud du Sahara, a fait l’objet d’une vaste mobilisation en faveur de son écriture en graphie latine adaptée. Ce mouvement culturel et social surprend à deux titres : d’une part, sa relative ampleur, sa durée et son ancrage populaire, d’autre part, le choix de l’écriture latine alors que le peul s’écrit en caractères arabes depuis au moins le XVIIIè siècle. Une première phase a fait émerger activités d’alphabétisation et  d’édition dans cette langue autour de trois pôles : un pôle local (Sénégal et Mauritanie), un pôle de migration économique (principalement la France à cette période) et un troisième pôle à vocation religieuse (les pays arabes, notamment l’Égypte). Dans des contextes donc bien distincts aux enjeux spécifiques — identitaires, culturels, religieux, politiques, économiques — mais convergents, c’est donc d’abord un nationalisme culturel dynamique et efficace pris en charge par les Peuls et Haalpulaar’en eux-mêmes (littéralement « ceux qui parlent le pulaar ») qui a promu l’écriture du pulaar. À tel point qu’au Fuuta Tooro (moyenne vallée du fleuve Sénégal), l’un des berceaux de cette langue, le moindre hameau aurait été touché par cette vague scripturale. Puis les acteurs du développement — ONGs, coopération hollandaise, allemande ou canadienne, bailleurs internationaux ou églises protestantes américaines — sont venus en relais dans ce processus de diffusion de l’écriture en/du pulaar, sensibilisés par les orientations éducatives internationales de lutte contre l’analphabétisme (Unesco) ou sur incitation des villageois eux-mêmes. Autour des années 2000, le repli de ces acteurs lié aux faibles résultats engrangés dans la vallée en matière de développement et de contrôle des flux migratoires a fragilisé un mouvement pulaar déjà aux prises avec des tensions sociales internes générées par certaines évolutions liées à ce mouvement. Les militants de ce dernier ont alors adopté une stratégie de redéploiement sur les NTIC, notamment sur internet (blogs, forums, enseignement du pulaar en ligne, webradios, etc.).
La question centrale retenue pour étudier ce nationalisme culturel réinvesti par le développement a été de comprendre ce que ce mouvement pulaar pouvait révéler de la société haalpulaar et vice versa. Pouvoir lire et écrire dans sa langue maternelle change-t-il quelque chose ? Comment les compétences et pratiques scripturales sont-elles socialement construites ? Comment participent-elles à la construction individuelle et collective ? En quoi jouent-elles sur les rapports sociaux dans leur dynamique ? Pour y répondre, la littératie pulaar se devait d’être appréhendée dans son contexte pluriscriptural et plurigraphique. Les deux autres langues écrites les plus répandues au Fuuta ont donc été considérées de près : le français, langue officielle et de l’éducation nationale, de la mobilité sociale et d’une migration internationale toujours prisée mais aux destinations de moins en moins francophones, et l’arabe, langue religieuse d’un savoir-pouvoir perpétuant l’establishment social et politique mais aussi langue de certains réseaux commerciaux et migratoires. Comment le pulaar, ses sessions d’alphabétisation, ses pratiques de l’écrit et son répertoire ont-ils pu se frayer un chemin entre ces deux autres littératies, pour ne pas en évoquer une troisième, plus urbaine, celle du wolof, lingua franca au Sénégal qui dispute à ces deux langues nombre de leurs fonctions et attributs ? La littératie pulaar, très investie par les cadets sociaux (jeunes, femmes et groupes statutaires subalternes — artisans ou serviles), a de fait contribué à une certaine reconfiguration de l’échiquier social. Parcelles de pouvoir et d’action ainsi acquises ont fait réagir les catégories sociales dominantes sur les plans foncier, économique, politique, religieux ou symbolique.

Divers outils et méthodes ont été convoqués et mis au point pour saisir la complexité de cet objet, étudié dans un comparatisme entre deux villages voisins du Fuuta sénégalais à dominantes statutaires différentes : l’un de « pêcheurs », l’autre de « guerriers ». L’approche retenue a été globale et pluridisciplinaire tout en se centrant sur une socio-anthropologie de l’écriture parente des New Literacy Studies. Mais la palette d’outils mis au point doit autant aux méthodes quantitatives que qualitatives : chronogénéalogies de la littératie, cartographie des compétences scripturales (CS) grâce au recensement des villages ou statistiques sur la distribution des CS selon diverses variables sociologiques ont recoupé observations et entretiens individuels ou séances collectives.

Après un rappel de l’histoire du mouvement pulaar et de ses racines idéologiques, une description de la situation linguistique, scripturale et éducative au Sénégal et en Mauritanie est entreprise. Poésie et conférences culturelles en pulaar, récits de soi entre roman et micro-historiographies ou livrets sur les préceptes de l’islam retiennent ensuite particulièrement l’attention, tout comme la distinction entre pratiques d’écriture et de lecture ou encore le rapport d’appropriation et d’intimité aux écrits, notamment en pulaar. Puis se dessinent stratégies éducatives individuelles et familiales et variables à l’œuvre dans les trajectoires éducatives des trois littératies. Enfin, les ressorts de la littératie pulaar sont soulignés tant du point de vue des conditions de félicité du mouvement pulaar (mythification de la langue peule, rôle majeur des femmes et engagement des alphabétiseurs) que de celui des dynamiques et tensions sociales internes et transnationales que ce dernier a révélées ou générées.

Mots-clés : écriture – alphabétisation – littératie – peul – Sénégal – Mauritanie – Fuuta Tooro – identités – développement – empowerment – transnationalisation.

Vous êtes tous chaleureusement invités au pot qui s’en suivra à partir de 17/18h, salle 8. Merci de m’indiquer votre venue par retour de mail : <mailto:mehumery@gmail.com>mehumery@gmail.com

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