La newsletter du CERI – Novembre 2013
Edito : Immigration, quelles politiques ?
Par Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherche CNRS au CERI
Le drame de Lampedusa, où 364 personnes ont trouvé la mort après le naufrage de leur embarcation le jour même de la tenue à New York du deuxième Dialogue de haut niveau sur les migrations et le développement des Nations unies, est un signe fort de l’incapacité des politiques migratoires à répondre à l’entrée en mobilité qui se dessine depuis vingt ans à l’échelle de la planète.
Le monde bouge, quoique modestement, puisque l’on ne compte que 3,1% de migrants internationaux, représentant 232 millions de personnes au total, mais cette réalité a du mal à être appréhendée en haut lieu. On ne parle de migrations ni au G8 ni au G20, et le sujet a souvent été absente des dialogues régionaux où elle dérange. Tandis que les conclusions du Dialogue de haut niveau insistaient sur la contribution des migrations au développement humain et sur la nécessité de sécuriser les parcours migratoires, la seule réponse de l’Union européenne, pourtant dépendante démographiquement et économiquement des mouvements migratoires, a été l’accroissement des moyens de l’agence Frontex. Son budget de 87 millions d’euros est considéré comme insuffisant pour assurer à la fois le contrôle des flux et le secours porté aux migrants en Méditerranée, tandis que d’autres instruments protègent aussi les frontières de l’Europe : les visas, le système d’information Schengen, le SIVE (système intégré de vigilance externe), les murs militairement équipés comme à Melilla. Doit-on encore renforcer les contrôles qui ne constituent qu’une réponse à court terme aux peurs de l’opinion publique ?
Plus les frontières sont difficiles à franchir, plus fleurit une économie du passage d’autant plus prospère que les contrôles sont sophistiqués. Une autre voie consisterait à inverser la spirale sécuritaire et à légaliser une partie des flux clandestins : en élargissant les voies de migrations correspondant aux besoins du marché du travail, en facilitant le regroupement familial et en assouplissant l’accès au droit d’asile, toutes voies d’entrée rendues de plus en plus difficiles au fil des ans. Toutes les analyses s’accordent sur le fait que la mobilité est une source de développement, qu’une plus grande ouverture des frontières serait un facteur de croissance, notamment dans les espaces de passage les plus fréquentés le long des grandes lignes de fracture du monde. La plupart des sans-papiers n’empruntent pas ces passages : après une entrée légale dans un pays, ils prolongent leur séjour. Ils n’abandonneront cependant pas leur partie de bras de fer avec la politique européenne de l’immigration qui reste marquée par le souverainisme des Etats et l’empreinte d’opinions publiques hostiles à l’immigration. Dans un monde de plus en plus mobile, la circulation des hommes est aujourd’hui l’élément le plus entravé.