jan 24, 2014

appel à com : Massacres et répressions dans le monde colonial, Lorient, 27-29 nov 2014‏

Veuillez trouvez ci-dessous et en pièce jointe un appel à communications pour un colloque intitulé « Massacres et répressions dans le monde colonial : Archives et fictions su service de l’historiographie ou du discours officiel »
Ce colloque se tiendra du 27 au 29 novembre 2014 à l’Université de Bretagne Sud, à Lorient.
Les propositions de communications sont attendues pour le 1er février 2014 armelle.mabon@univ-ubs.fr Sabrina.Parent@ulb.ac.be

À l’approche de la date commémorative du 1 e décembre 2014, le « Massacre de Thiaroye » – développé en détail dans l’argumentaire ci-dessous – servira de point d’appui pour situer les enjeux scientifiques et éthiques qui animeront ces journées d’études transdisciplinaires. Ayant pour objet d’étude le « massacre colonial » (notion définie ci-après) – y compris celui de Thiaroye –, les interventions retenues auront pour but de poursuivre une réflexion relative à un ou plusieurs des axes suivants : (1) les pratiques des historiens, notamment leur rapport aux sources ; (2) la place des fictions historiques, aux côtés de l’historiographie, dans la connaissance du passé ; et (3) la question de l’« engagement » social de l’historien par rapport à une pratique professionnelle qui se veut « objective ». Argumentaire

Le 1 er décembre 1944 à Thiaroye près de Dakar, officiellement 35 ex-prisonniers de guerre coloniaux ont été tués, 35 blessés, 34 condamnés à des peines allant de un à dix ans d’emprisonnement après s’être mutinés et avoir désobéi aux ordres des officiers des troupes coloniales. Ces hommes partis pour défendre la France, faits prisonniers par les Allemands en juin 1940 après avoir combattu avec courage, revenus en terre africaine après quatre longues années de captivité en France occupée, sont devenus, aux yeux de l’administration militaire et coloniale, un danger pour la puissance impériale que la guerre avait ébranlée. Les rapports officiels donnent de précieuses indications sur les causes de la mutinerie vues par la puissance colonisatrice. La propagande nationaliste allemande est, aux yeux de l’administration, l’une des causes de la rébellion, car se trouvant au fondement du dénigrement de l’armée française et de ses cadres. Le contact avec la résistance et les Forces françaises de l’Intérieur est également cité comme un élément de troubles pour des tirailleurs qui « n’étaient pas moralement, intellectuellement et socialement capables de comprendre la grandeur, la beauté et la nécessité de ce mouvement [la Résistance] […] » [1] . Le contact avec les femmes françaises et notamment les marraines de guerre contribue, toujours selon les sources militaires, à ce mauvais état d’esprit alors que la provenance des sommes détenues par les tirailleurs devient suspecte. Quant à leurs revendications financières, elles sont présentées comme infondées. Ces rapports archivés sont la base de l’histoire officielle qui entérine le fait que la riposte armée était indispensable pour faire face au danger que ces hommes représentaient.

Romans, pièces de théâtre, films, créations musicales se sont inspirés du drame de Thiaroye avec une nécessaire liberté d’imagination mais aussi un pouvoir de réécriture de la réalité. Alors que ces prisonniers de guerre coloniaux ont été internés en France, la fiction a le plus souvent choisi de prendre l’Allemagne comme lieu de captivité. L’exposition « L’outre-mer français dans la guerre 39-45 » [2] présentait Thiaroye en lien avec une colère des ex-prisonniers revenant des camps allemands et n’ayant pu échanger que la moitié de leurs marks . Le discours historique destiné au grand public s’est ainsi laissé influencer par une réécriture-fiction que la rumeur a amplifiée. L’exacerbation ne pouvait pas provenir d’un échange de marks, ni même d’un taux de change de moindre valeur entre francs français et billets de l’AOF comme présenté erronément dans le film de Sembène Ousmane Camp de Thiaroye. La cause fondamentale de la révolte réside dans le refus délibéré des plus hautes autorités militaires stationnées à Dakar de respecter la réglementation des rappels de solde dont devaient bénéficier ces ex-prisonniers de guerre. Curieusement, cette revendication majeure n’apparaît pas explicitement dans les rapports.

L’événement traumatique Thiaroye a été recouvert d’une chape de plomb – aucun journal français n’en a fait état à l’époque – et n’a suscité l’intérêt des historiens que tardi vement lorsque, à la fin des années 70, le canadien Myron J. Echenberg a commencé à l’analyser comme un élément déterminant dans la lutte des Africains vers la conquête d’une dignité que le système colonial leur avait déniée [3] . D’autres recherches ont été menées depuis mais sans émettre de doute ou remettre en cause le contenu des archives ni la véracité des rapports officiels. Suite à la disparition des circulaires permettant de comprendre le bien fondé des revendications, un minutieux travail de défrichage, de recoupement, de recueil d’avis d’experts a permis de contrecarrer l’histoire officielle dédouanant l’armée de toute responsabilité. La mise en évidence d’une spoliation de ces ex-prisonniers et d’une écriture tronquée des rapports nous invite à discerner les enjeux d’une cécité collective assumée par nombre d’historiens et par les plus hautes autorités civiles et militaires. Le pouvoir politique, en la personne du président français François Hollande, vient de complexifier la relation entre le chercheur et les sources en convoquant ces archives pour un usage inédit : « Donner au Sénégal toutes les archives dont la France dispose sur ce drame afin qu’il puisse les exposer au mémorial sur Thiaroye » [4] . S’agit-il d’une regrettable méprise – ces archives étant incessibles – ou d’une volonté d’esquiver la responsabilité de la France en comptant sur le Sénégal pour faire la lumière sur ce massacre ?

S’appuyant sur la définition de Jacques Sémelin [5] , ce colloque cible comme objet d’étude les « massacres coloniaux », une forme d’action le plus souvent collective, de destruction de non combattants, hommes, femmes, enfants ou soldats désarmés . Ces répressions sont dictées par le pouvoir politique afin d’empêcher, par la contrainte ou la violence, toute protestation ou soulèvement collectif. Dans le contexte colonial, la finalité est de parvenir par la violence à imposer, notamment sur la population civile, la domination et la sujétion. Nous nous intéresserons particulièrement aux répressions sanglantes liées aux mouvements indépendantistes, ainsi qu’au cheminement d’une reconnaissance du fait « massacre ». L’étude comparative avec les différents régimes coloniaux permettra d’enrichir une indispensable analyse de ces faits historiques passés sous silence et pourtant gravés dans la mémoire des peuples victimes.

Tout massacre ne constituant pas nécessairement un cas de « génocide » et une telle qualification suscitant bien des controverses, la notion de « génocide » n’est pas retenue dans cet appel.

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